Toaster a 6 ans. C’est un chat tout gris que Benji, mon mari, a recueilli. Il ne manque de rien. Il a une vie on ne peut plus tranquille de matou pourri gâté. Aimé et adulé par ses serviteurs que nous sommes, il a des caresses à longueur de journée, des croquettes à bouche que veux-tu et de la pâtée tous les matins. À midi, dès qu’il entend le tintement des couverts, Toaster se met à table en même temps que nous sur la petite chaise qui lui est réservée.
Il dresse ses oreilles poilues et agite son museau mouillé au dessus des plats. Ses pupilles ovales s’accordent à l’unisson au mouvement des fourchettes qui font la navette entre les assiettes et nos bouches. C’est sa façon de réclamer sa part du gâteau. Inutile de vous dire qu’il arrive toujours à ses fins. Après le repas, il se blottit dans nos bras, se met sur son dos, les pattes arrière écartées, laissant ainsi apparaître son gros bidon rondouillet tout chaud puis il s’endort en ronronnant. Il faut dire que Toaster est la douceur et l’indolence incarnées. Il ne griffe pas, ne mord pas, n’agresse pas. Lorsqu’il est arrivé à la maison, Vroom le bobtail était encore en vie. L’entente entre les deux boules de poils n’était pas toujours au beau fixe mais chacun avait pris ses marques et trouvé sa place au sein de la maisonnée.Malheureusement, c’est à la disparition du chien que les ennuis de Toaster ont commencé…Il s’est retrouvé sans défense. C’est alors que, petit à petit, un chat de gouttière orange à l’allure efflanquée a commencé à prendre ses aises dans le jardin. Chaque jour, il s’avançait un peu plus vers la maison sous l’œil méfiant de Toaster, tapi dans l’ombre derrière les rideaux de la baie vitrée, les oreilles baissées, la moustache dressée et la queue gonflée; il sentit le vent tourner et les choses ne tardèrent pas à se gâter.

Toaster
« À chaque fois que notre minou sortait se détendre dans son jardin, le chat orange lui faisait passer un sale quart d’heure. coups de grigriffes fulgurants et féroces, il faisait virevolter les poils de mon pauvre matou. Il faut dire que Toaster n’a pas été doté de l’intrépidité qui caractérise les félins. À peine ses coussinets dodus avaient-ils effleuré l’herbe du jardin qu’il se faisait littéralement agressé par le chat orange, toujours planqué derrière un bosquet, à l’affût des moindres mouvements de sa nouvelle victime. Nous avons même retrouvé une canine dans la cuisse de notre chat. Nous avons donc surnommé son tortionnaire, Le Méchant Chat.
Le Méchant Chat était devenu la bête noire de la maison. Nous étions constamment aux aguets. Dès qu’il s’approchait de Toaster, c’est au moyen de lancés de pantoufle ou d’agitations vigoureuses d’objets en tout genre que je l’éloignais de la maison. Il détalait à vive allure à peine avoir entendu le strident ronflement de la baie vitré qui s’ouvre. Il avait même osé inviter ses nombreux copains dans le jardin. La joyeuse troupe échappait ainsi à la rudesse de la vie de chats errants en profitant sans gêne du territoire douillet et feutré de Toaster. Le gros chat blanc, le chat orange et noir famélique et le chat miteux marron à gueule pointue avaient eux aussi élu domicile dans la cour. Toaster était terrorisé et sursautait constamment. Il ne sortait plus ; chat échaudé craint l’eau froide…C’était l’anarchie totale. Le gros chat blanc s’allongeait gaillardement sur la chaise longue préférée de toaster. Le chat orange et noir famélique se couchait sur l’herbe, la panse tendue, la rondelle à l’air caressée par la délicate brise printanière dont toaster ne pouvait plus profiter. L’effronté chat miteux marron à gueule pointue faisait ses crottes sous les yeux médusés de Toaster pour le narguer et s’installait près des trous à rats, pour lui piquer sans vergogne ce qu’il avait de plus cher: ses souris ! Le Méchant Chat, quant à lui, avait élu domicile sur la grande table à manger qui surplombe le jardin. Toaster amère, restait immobile des heures durant devant la baie vitrée du salon, à contempler impuissant son petit monde s’écrouler aux mains de ses oppresseurs culottés qui gagnaient du terrain. Par moment, pour traduire son mécontentement, il esquissait des grognements saccadés. La chaise de toaster à table restait résolument vide. Il était découragé, triste, bafoué dans son orgueil de mâle désarmé face à l’adversité.

Benji et Toaster
Petit à petit, on vit de moins en moins Le Méchant Chat et ses amis puis, on ne les vit plus du tout. Toaster le chat retrouvait goût à la vie. Il gambadait dans le jardin comme avant, frottait son arrière train vigoureusement sur les troncs d’arbres et les bosquets et recouvrait son instinct de chasseur. À mesure qu’il prenait confiance en lui et gagnait en dextérité, il commença par ramener des bestioles puis des bébés souris et enfin des souris adultes. À force de patience et grâce à l’aide et la dévotion de ses disciples, sa majesté Toaster était désormais redevenue le maître suprême des lieux et trônait superbement sur son royaume, le jardin.

Plume
Un jour, Benji entendit des miaulements longs et insistants non loin du portail. Dans un trou à peine visible à l’œil nu, se trouvait un chaton blanc, tétanisé. Il tremblait de tous ses poils clairsemés. Il sortait timidement son petit museau rose quand nous lui apportions de la nourriture. Nous réussîmes tant bien que mal à le prendre dans nos bras. Il n‘était pas plus lourd qu’une pomme. A force de papouilles et de guilis sur son minuscule ventre rond, il se mit à ronronner de plaisir ce qui nous fit littéralement craquer. Nous l’avons adoptée et l’avons appelée Plume car c’était une femelle et elle était si légère. Dans les jours qui suivirent l’arrivée de la petite Plume, nous aperçûmes des chatons, non loin de la maison. C’était la fratrie de Plume. La voisine nous expliqua que plume était en fait issue d’une portée dont la mère, un chat errant orange avait été écrasée par une voiture. Il ne nous a pas fallut davantage de détails pour comprendre que la maman de plume était en fait Le Méchant Chat.
Décidément, le sort s’acharnait contre Toaster qui pensait être enfin tranquille. Il n’a pas beaucoup apprécié la venue de la petite Plume. Il sortait ses griffes et feulait à chaque fois qu’il la voyait gigoter à tort et à travers dans la maison. Les semaines qui ont suivit marquèrent le début d’un nouveau calvaire pour lui. Elle était tout le temps dans ses pattes, et comme toutes les petites sœurs et petits frères du monde, elle était embêtante, énervante. Pour jouer, elle l’entraînait dans des roulés-boulés trop énergiques pour les vieux os de Toaster. Pour se débarrasser d’elle, il lui donnait de violents coups de pattes sur la tête. Et évidemment, comme toutes les petites sœurs, elle ne comprenait rien. Elle prenait cet affront pour une énième invitation à l’amusement et recommençait ses âneries de plus belles. Un malheur n’arrivant jamais seul, nous avons accepté de garder pour quelques mois Marcus, le gros chat noir et ténébreux de mon beau frère, au grand dam de Toaster au bout du rouleau.

Marcus

Happy selfie !
La rencontre avec Marcus a été naturellement très musclée. Une bagarre digne des plus grands combats de catch aux prises inédites a eu lieu sur notre lit. Tous les coups étaient permis. L’épervier qui dégaine ses griffes aiguisées en l’air et la morsure fatale du tigre du Penjab ont été les katas les plus utilisés durant ce combat sans merci. Ils ont été impitoyables l’un envers l’autre. Dommage collatéral : notre house de couette toute neuve a rendu l’âme, probablement éventrée par une griffure saillante. Nous ne sauront jamais qui a pris le dessus, mais à la vue des poils gris gisant sur le sol, mon petit doigt me dit que c’est Toaster qui a (dignement) morflé.
Toujours est-il que toaster ne semble pas s’adapter à l’arrivée de ses nouveaux colocataires. Il essaie de marquer son territoire comme il peut en nous gratifiant de belles crottes crémeuses et luisantes et de pipis à l’odeur piquante dissimulés ici et là dans nos pièces à vivre ou sur nos vêtements alors qu’il a une litière dernier cri. Il évite du mieux qu’il peut ses colloc’ mais c’est peine perdue. Ils sont partout. Quand il croit être tranquille, la frimousse noire de jais de Marcus se dresse devant lui. Quand il pense être enfin seul, c’est la petite Plume qui, sortie de nulle part, bondit sur son corps fébrile. Il doit non seulement partager son trône mais également sa pâtée, ses croquettes, ses jouets, ses parents, ses grands-parents, son jardin, son espace.
Le temps faisant son œuvre, ils ont tout de même réussi à trouver un compromis. Chacun d’entre eux a son petit havre de paix dans la maison. Nostalgique de sa solitude d’autrefois, Toastichou s’est résigné à se faire le plus discret possible et à sortir de la maison dés qu’il en a l’occasion. Il ne revient que pour manger ou dormir sur son coussin installé sur une chaise du bureau. J’espère qu’il finira par s’habituer à la présence de ses compères et à s’épanouir à nouveau. Pour l’heure, Toaster le solitaire a compris à ses dépens que la liberté s’arrête où commence celle des autres; et étant une bonne patte, il a fini par adapter la sienne à celle des autres.
Sharmela
Superbe histoire. J’aime surtout les photos avec les mines particulières de Toaster et Marcus. J’aurais bien aimé des photos des chats errants quand ils venaient trainer dans votre jardin. L’histoire est bien narrée en tout cas, je n’ai pas eu de mal à imaginer chaque scène.
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tu as raison pour les photos des chats errants moi aussi j’aurais bien aimé en avoir , simplement je ne m’étais pas encore lancée dans l’aventure du blog au moment où tout cela s’est produit
. merci pour ce commentaire très sympa !
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Waouah! On s’y croirait. Bien raconté!
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Merci! N’hésite pas à t’abonner pour ne rater aucun article:)
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