Il s’appelait Christian. Il avait 8 ans. Nous étions dans la même classe. Je me souviens de sa dégaine du parfait écolier comme si c’était hier: sa chemise, boutonnée jusqu’à l’encolure, était toujours rentrée dans sa culotte courte kaki qui moulait ses petites fesses déjà très musclées pour son âge. Ses sourcils épais accentuaient son regard vif et percutant. Ses cheveux gominés brillaient tout autant que ses souliers parfaitement cirés. En plus d’être beau, il était intelligent, bon élève, et sérieux si bien qu’il a été nommé, en tout bien tout honneur, chef de classe par la maîtresse. Il prenait son rôle très à cœur et s’attelait à donner l’exemple. Il maîtrisait les règles de mathématique sans trop d’efforts, contrairement à moi qui mit plusieurs semaines à comprendre la légendaire règle de trois. Mon cœur de fillette de 7 ans s’était tendrement épris de Christian tant et si bien que dans mon imaginaire de fille lunaire, j’étais persuadée qu’il deviendrait président de la république. Je me voyais déjà à ses côtés au journal de 20h, lors de la cérémonie d’investiture, dans ma robe à carreaux d’écolière, tenant fermement la main de mon mari en culotte courte, affublé d’une veste de costume d’adulte beaucoup trop grande pour sa petite carrure.
Malheureusement, cette fascination que j’éprouvais pour lui ne semblait pas réciproque. J’étais à ses yeux comme une crotte de chat: invisible, enterrée dans le sable. Il ne m’avait d’ailleurs jamais fait montre d’une quelconque marque d’affection; j’ai donc décidé de tenter un rapprochement subtil. Je savais qu’il habitait à deux pas de chez moi. Ainsi, lorsqu’il m’arrivait d’être absente en classe, je me précipitais chez lui pour emprunter son cahier pour recopier les cours que j’avais manqués. Une fois devant l’entrée de sa maison, j’espérais secrètement que ce soit lui qui m’ouvre la porte. Quand c’était le cas, la joie et l’euphorie s’emparaient de mon esprit. Par contre, nos échanges étaient forts succincts. Il allait à l’essentiel et abrégeait constamment la conversation.
-Bonjour Christian!
-Bonjour.
-Peux-tu, s’il te plait, me prêter ton cahier de géographie?
-Je vais le chercher.
Quelques minutes plus tard…
-Tiens.
-Merci Christian, tu es gentil, je te le ramène dès que j’ai fini!
-….
Au revoir Christian!
-oui.
Après le double cliquetis de la serrure suivi du claquement de la porte d’entrée qui mettait fin au dialogue avec mon interlocuteur peu loquace, je me consolais en me disant qu’il était d’une part probablement très occupé à faire ses devoirs et gérer ses dossiers de futur président et d’autre part très intimidé par ma personnalité extravertie . Aussitôt rentrée à la maison, je me plongeais dans son cahier de texte. Il copiait bien ses leçons, sans ratures et sans fautes d’inattention. Tout était fluide, cohérent, coloré. C’était un plaisir de le lire. Je me sentais privilégiée d’avoir accès au cahier de son excellence le chef de classe. Cela me motivait dans ma démarche de devenir son amoureuse car je me disais qu’à nous deux, nous pourrions bâtir un empire à l’école avec tous nos petits camarades à nos pieds. Il fallait à présent que je passe aux choses sérieuses, ce petit jeu entre nous avait assez duré.
Je ne pouvais plus garder ce lourd secret pour moi ; le dicton «l’amour n’a pas d’âge » n’étant pas valable pour tous les parents, je me disais qu’un tel aveu à mes géniteurs se serait inévitablement soldé par des remontrances ou un kôkôta*, qui sait. C’est ainsi qu’un jour, à la récréation du matin, J’ai décidé de me confier à mes deux copines de classe de l’époque Ophé et Alex. Après avoir écouté mes confidences, elles ont échangé des regards complices, alternant messes basses et mesquineries, puis m’ont suggéré de déclarer ma flamme à Christian car il était peut être, lui aussi, fou de moi. Tout se passa très vite ensuite. Je ne perdis pas une minute de plus. Je jetai un coup d’œil pour le localiser. Il s’amusait avec sa joyeuse bande de copains, dans l’aire de jeux, près de la balançoire aux structures métalliques. Je l’imaginais déjà, entrain de m’embrasser sur la joue. Après quoi, je nous voyais assis en tailleur, à même le sol, échangeant nos goûters respectifs en signe de notre amour et de notre fidélité. Je pris une profonde inspiration ; je redressai ma robe à carreaux bleue et blanche; je recoiffai à l’aide d’une noisette de salive les cheveux rebelles de mes tempes; Je soufflai dans mes mains et les fit vivement frictionner l’une contre l’autre puis je serrai les poings de toute mes forces ; les bras tendus le long de mon minuscule corps frêle, je pris une profonde inspiration, puis je m’avançai à grandes enjambées vers mon Chrichri d’amour. Devant tous ses copains intrigués par mon arrivée fracassante, je lui fis ma déclaration.
-Christian, je t’aime.
-Pfff tu es vraiment bête toi me lança t-il méprisant et dépité
-…
-Pfff
Puis, il tourna les talons et rejoignit ses copains hilares.
Voilà, c’est ainsi que sonna le glas de mon histoire d’amour tant fantasmée avec Chrichri. À l’instant où ces mots d’une rudesse sans précédent parvinrent à mes oreilles, les cheveux rebelles de mes tempes que j’avais tant bien que mal réussi à discipliner se redressèrent aussi sec; le gros vent que je venais de me prendre m’avait complètement décoiffé. Au moins, c’était on ne peut plus clair: Christian ne m’aimait pas et j’étais une sombre idiote à ses yeux de chef de classe hautain et méchant. De plus, ces niaiseries sentimentales futiles étaient certainement à des années-lumière de ses préoccupations d’élève consciencieux. Dévastée, je pris mes jambes à mon cou, pour me réfugier auprès de mes copines. En les voyants se tordre de rire en raison de l’échec cuisant que je venais fraîchement d’essuyer, je compris qu’elle m’avait sciemment jeté dans la gueule du loup. J’étais plantée là, devant elle, totalement effondrée, le cœur brisé en une quantité infinitésimale de morceaux à regarder mes soi-disant amies se moquer de moi, et Christian radieux et gai comme un pinson, glisser en toute insouciance sur le grand toboggan bleu.
À partir de ce moment précis, tout l’amour que j’éprouvais pour lui s’était comme évaporé. Je ne ressenti plus rien, rien de rien. J’étais libérée, délivrée! Je n’éprouvais aucune rancœur envers lui. Et puis de toute façon, s’il ne m’aimait pas ce n’était pas bien grave car des bisous j’en avais pleins à la maison. Par contre, je n’ai plus jamais emprunté ses cahiers de leçon; cela va de soi.
Nous sommes restés dans la même école jusqu’en classe de CM2, sans nous côtoyer pour autant. Au collège, nos chemins se sont séparés mais nous avons souvent été emmenés à nous croiser puisque nos parents habitent toujours le même quartier. À l’adolescence, nous sommes, ni plus ni moins, devenus de bons potes. Avec le temps, j’ai découvert qu’il était un garçon adorable et doux. Il est tout de même resté très travailleur. Aujourd’hui, il est avocat au barreau de Paris.
Comme quoi, rien ne sert de courir car tout arrive à point à qui sait attendre; je m’imaginais à ses côtés en tant que première dame de la république et à présent, je suis la première dame du cœur de mon époux et ça, ça vaut tous les râteaux du monde, même les plus mémorables.
Kôkôta: expression ivoirienne désignant un coup donné sur la tête à l’aide de l’articulation du majeur.
Sharmela
Loooooool j m’en rappelle comme si c’était hier 😂😂😂😂😂😂😂😂😂😂😂😂😂😂
Mais contrairement à toi, d’autre n’ont pas osé te dire leur amour
La morale de cette histoire : dindinment na jamais luck
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le texte est bien écrit et agréable à lire: Papi
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oooh sharm tu m’as tué j’ai passé mon temps à rire. mdr.
c’est vrai qu’à l’époque c’était un beau mec.
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Mdrrrr je te dis fhummm j’ai sorti les dossiers!
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PTDR. Ooh Sharmie, je pense que tu voulais plutôt dire « Ophé » et « Maïlys »! Je suis vraiment désolée (lol 20 ans plus tard), on a pas été sympas avec toi! Bon avoue que c’était quand même super comique comme situation! J’espère que tu vas bien!
Gros bisous
Maïlys Assi
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Haaaa la jeunesse! j’espère que tu vas bien gros bisous!
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