Enfant, je faisais partie des aficionados du Père Noël. J’étais de ceux dont le comportement changeait nettement à l’approche du réveillon.
Je devenais très sage car la personne chargée de distribuer les cadeaux, A.K.A* le Père Noël, m’observait de son œil omniscient. Pendant cette période les membres de la maisonnée se transformaient en impitoyables maîtres-chanteurs et prenaient un malin plaisir à profiter de ma crédulité infantile. J’avais droit au fameux « attention le père noël te voit », décliné en divers mises en garde du même acabit comme «tu ne veux pas te brosser les dents? C’est dommage parce que le Père Noël t’aimait bien» ou encore «tu te calmes, sinon je passe tout de suite un coup de fil au Père Noël ». En général, j’obtempérais, fissa.
A l’instar de tout fervents croyants, je défendais mon gourou envers et contre tous. A l’école, j’étais souvent en bisbille avec mes camarades persuadés qu’il n’existait pas. Certains racontaient, sans sourciller, que le Père Noel était mort la tête tranchée par les hélices de son avion alors qu’il descendait de celui-ci. D’autres disaient qu’il apparaissait uniquement aux occidentaux puisqu’il n’y avait pas de cheminées sous nos tropiques et que c’était les papas et les mamans qui achetaient les cadeaux au supermarché. Cette allégation scandaleuse et farfelue me faisait sortir de mes gonds. C’était tout simplement impossible, invraisemblable. Jamais mes parents, des exemples auréolés de l’esprit de sagesse, messagers privilégiés du petit Jésus et du Père Noël n’auraient pu orchestrer une si vaste supercherie. Je scandais alors à mes petits saligauds d’amis qu’ils faisaient fausse route car j’avais un argument imparable: le Père Noël, je le voyais tous les 24 décembre en chair et en os chez moi. Même que c’était le vrai. Son visage était un peu étrange mais blanc pas comme celui de l’école qui lui était noir. A la fin du repas de famille, il venait distribuer des cadeaux à tous les enfants présents. Après quoi, je faisais l’emblématique photo souvenir sur ses genoux de la fille qui pèse dans le game avec mes nombreux cadeaux sous les bras. Et comme à l’accoutumée, à la fin du récit détaillé de mon réveillon enchanté, je n’obtenais jamais les réactions escomptées. Au lieu de susciter l’admiration de mes détracteurs, je déclenchais l’hilarité générale.
A l’approche des fêtes, ma mère et moi avions pour habitude de feuilleter l’album photos du Noël précédent. Alors que nous commentions chacune des images, je remarquai sur l’une d’entre elles que le père Noël avait exactement les mêmes doigts que mon père. Dès lors, la différence de couleur entre ses mains et son visage devint flagrante; il portait en réalité un masque. Cela me parut franchement bizarre qu’il se grime ainsi. Je tentai en vain d’obtenir des réponses au près de ma mère qui fit diversion avec un tour de passe-passe magistral. Résolument décidée à découvrir le pot aux roses, je gravai malgré tout cette pièce à conviction dans un petit coin de ma tête. J’étais sur la bonne voie pour résoudre l’enquête de ma vie.
Quelques mois plus tard, il y eut ce fameux réveillon ou la mécanique bien huilée de mes parents connu un léger couac. Comme d’habitude, tel un monarque adoubé par tous, le père Noël fit une entrée en grande pompe sous les applaudissements conquis des invités. Il les salua, posa lasse son ballot bondé sur le sol, puis se carra dans son fauteuil. Tandis qu’il s’adonnait à son monologue habituel pour exprimer sa joie d’être en notre compagnie, la neige sur son costume me turlupina. Elle avait un aspect synthétique et ressemblait à quelque chose qui m’était familier. En y regardant de plus prêt, je constatai que c’était le coton démaquillant de ma mère. Bingo. Je me concentrai ensuite sur son visage. À travers le masque en plastique dont il s’était affublé, je distinguai nettement le regard rieur de mon grand cousin, puis je reconnu sa voix fluette. Banco. Mes neurones endormis se mirent aussitôt à émettre des signaux disruptifs à la vitesse de la lumière. J’avais compris. Tiraillée entre excitation et étonnement, je gloussai en lançant un perçant et brusque «c’est un faux père noël » qui rompit la quiétude de la réception. Gênance.
Après quelques tentatives veines de raviver mon ingénuité, mes parents décidèrent, un soir, dans leur chambre, de me dire toute la vérité. Je découvris alors l’impensable. Mon père et ma mère, comme beaucoup de parents, faisaient partie d’un cartel redoutable nommé la Mafia de Noël, chargé de protéger l’un des plus grands secrets du monde. Ils agissaient dans l’ombre avec les membres dévoués de cette organisation tentaculaire, structurée et subdivisée en plusieurs branches familiales à travers le globe. Dans la nôtre, ils étaient les chefs de fil d’une dynamique aux rouages implacables. Plusieurs semaines avant le jour J, les taches des uns et des autres étaient savamment départagées. Certains avaient pour mission d’acheter les cadeaux en douce, tandis que d’autres devaient désigner et préparer celui qui incarnerait le père noël. Mon père, mes grands frères, mes grands-cousins et même des amis proches de la famille se sont vus attribuer le rôle clef de la soirée. Après avoir vidé leur sac, mes parents prirent la décision collégiale de me montrer les coulisses de cette maestria. Mon père se leva brusquement du lit, prit un air grave, puis, dans un souffle, m’invita à le suivre pour découvrir les cachettes des cadeaux. Ce moment particulier fut très solennel. Nous arpentâmes nonchalamment et dans un silence religieux chacune des pièces de la maison. Puis à intervalle régulier, il marquait un temps d’arrêt pour me montrer les endroits qui abritaient mes jouets pendant des semaines. Il y’avait les tiroirs de son bureau sur le quel je dessinais souvent, l’étagère du grand placard à sacs de maman dans lequel je furetais parfois et à ma grande surprise, l’armoire de la chambre de mon grand frère, mon terrain de jeu favoris; j’y ai passé des heures à farfouiller en cachette et avec frénésie chaque recoin de cette pièce pour y trouver des choses à casser, démonter ou emprunter (sans son accord) et surtout sans me douter de quoi que ce soit. Notre pèlerinage prit fin dans ma chambre. Mon père étendit son bras pour atteindre la plus haute étagère de l’armoire qui trônait en face de mon lit. Il saisit un grand sac puis me le tendit. A l’intérieur de celui-ci, se trouvaient des vêtements froissés rouge roulés en boule, des gants blancs, une ceinture et un masque en plastique couleur chair serti grossièrement d’une barbe blanche en coton. Je-n’en-revenais-pas. Je tenais entre mes mains son excellence LE Père Noel. Mon idole, mon guide, ma rock star, celui que j’aimais plus que mes poupées Barbie, qui sillonnait la terre entière n’était effectivement qu’un bout de plastique sans vie, un amas de tissus, un simple déguisement. Je serrai le costume entre mes mains l’espace de quelques secondes, le temps de me recueillir devant ce symbole de mon enfance, puis je le rangeai aussitôt dans le sac. Mon père qui, m’avait longuement observée me décomposer, repris le sac, le jeta en vrac dans l’armoire puis posa sa grande main sur mon épaule frêle:
-Allez Sharmé, tu es grande maintenant, c’est fini tout ça, me lança t-il moqueur pour me ragaillardir.
-Ce n’est pas grave, de toute façon je savais qu’il n’existait pas, rétorquai-je fièrement en haussant les épaules. Subséquemment, un rictus fendit mon visage.
Mes parents étaient tristes et semblaient culpabiliser lorsqu’ils m’ont annoncé que le père noël était un personnage fictif. Peut -être étaient-ils nostalgiques parce que le glas du chantage le plus jouissif du monde venait de sonner ou parce qu’une belle parenthèse magique et rituelle de notre vie se refermait. Quoi qu’il en soit, je ne leur en ai pas voulu et la question de la trahison ne m’a jamais effleurée. Je savais déjà que la priorité des parents aimants était de veiller constamment au bonheur de leurs tocards de marmots. A vrai dire, j’étais bien contente que ce vieux briscard en rouge dont je craignais tant le jugement ne soit pas réel. De toute façon, je ne l’aimais pas vraiment car mon affection pour ce pépé que je voyais 15 minutes chez moi, une seule fois dans l’année et vite fait au centre commerciale ou à la télé, n’était que cupidité et intérêt. C’était un peu les prémisses du petit côté michto qui sommeille en chacun de nous. Appât du gain, quand tu nous tiens…
Toujours est-il que je ne vous dirai pas à quel âge j’ai cessé de croire au traîneau, aux lutins et au circuit pôle nord- Abidjan et neige qui ne fond pas sous 40 degrés pour des raisons évidentes de dignité. Au fond, la figure emblématique du Père Noël ne nous quitte jamais vraiment. Elle revit en nous tout au long de la période effervescente des fêtes et incarne l’esprit festif, rassurant et fédérateur de ce moment crucial de l’année. Elle renforce le socle de notre édifice familial autour d’un bon repas, réchauffe les cœurs grâce aux petites attentions des uns et des autres et façonne des souvenirs ineffaçables. Un grand merci à mes chers parents de m’avoir si bien menti.
Bonnes fêtes de fin d’année à tous!
A.K.A : aussi connu sous le nom de , allias .
A bientôt! 🙂