Humeurs

Le jour où j’ai rencontré le prince charmant

*toutes ressemblances avec des personnes réelles n’est pas pure coïncidence.

Une averse s’abattait sur les toits givrés du centre ville lillois. Accoudée à l’escalator montant de la station de métro Rihour, je craignais le pire: arriver décoiffée sur les lieux du rendez-vous et ressembler à une serpillière à franges mouillée. Dans la torpeur de la nuit, je vis une silhouette élancée se dessiner sous un immense parapluie. C’était lui. Je pris une profonde inspiration et décidai de braver dignement la pluie; il était hors de question de montrer à mon rancard le moindre soupçon de vulnérabilité aux premières heures de notre rencontre. Dès qu’il m’aperçue, il s’empressa de me rejoindre au pas de course. Il posa délicatement sa joue froide sur la mienne en guise de baiser puis m’invita à m’abriter sous son parapluie. Je nichai timidement mon corps grelottant tout contre son flanc et me laissai  guider jusqu’au restaurant dans le quel nous avions réservé.

 

Nous nous enfonçâmes côte à côte dans les ruelles sombres sur lesquelles se dressaient les bâtisses imposantes du cœur de la ville avant de regagner la rue de Béthune. Les plafonniers des enseignes dont elle regorge illuminaient chaque infime recoin de l’avenue recouverte alors d’une fine pellicule dorée. L’éclairage nocturne donnait l’aspect pailleté d’un champagne millésimé aux gouttes de pluie qui se désagrégeaient au dessus de nos têtes. Je sorti mon nez de mon écharpe, puis levai mon menton subrepticement pour entrevoir, l’espace d’un instant, cet homme à la carrure protectrice à côté duquel je paraissais si petite. Nous ne nous dîmes pas grand-chose sur le chemin, trop occupés à nous hâter pour échapper à l’inconfort des conditions météorologiques. Nous n’étions plus qu’à quelques encablures du restaurant indien le Maharani.

L’épisode du parapluie avait brisé la glace pour laisser place à l’incandescence du dîner en tête à tête. L’ambiance tamisée atténuait le reflet des bigarrures chatoyantes de la décoration sur nos visages. Benjamin et moi nous carrâmes dans nos fauteuils respectifs. Je le vis enfin plus distinctement. Il me lorgna discrètement tandis que je fronçai les sourcils en feignant de me concentrer sur la carte. Dès qu’il eu le malheur de détourner le regard, je scrutai du coin de l’œil ces moindres faits et gestes grâce à mes aptitudes ultra développées d’observatrice haut-gradée.

Chaque partie de son corps étaient passée au crible, de sa chevelure ébouriffée dorée qui se mariait parfaitement au cadre chaleureux des lieux  en passant par la douceur de son regard bleu clair. Sa peau laiteuse, ses yeux en amande émaillés de longs cils blonds, ses pommettes roses et ses lèvres charnues écarlates reflétaient une candeur attendrissante. L’encolure blanche de son polo Ralph Lauren duquel émanait un doux parfum suave ourlait sa mâchoire saillante rasée de près. Il redressait de temps en temps ses manches qui dévoilaient ses avant-bras ornés de veines anguleuses et de poils fins ambrés. Sa montre en acier irradiait et sublimait ses grandes mains avec lesquelles il empoignait délicatement les objets de la table. J’ai toujours été attirée par les jolies mains. Les siennes étaient si parfaites que je vibrais dès l’instant où elles m’effleuraient. J’en conclu qu’il devait sûrement avoir de beaux pieds ; chez moi ça fait partie du contrat. J’étais subjuguée par son calme, sa réserve, séduite par ses manières de garçon éduqué, par sa promptitude et par la délicatesse de ces multiples attentions. J’aimais ses postures nonchalantes,  la tonalité de sa voix à peine audible, sa timidité, son flegme. Son être entier n’était que sensualité et douceur.

Lorsque les plats furent disposés sur la table, je l’observai d’un air moqueur mangeoter  sa portion trop épicée de curry tandoori et de fait rougir à intervalle régulier. Je compris qu’il avait lui aussi choisi de ne pas montrer le moindre soupçon de vulnérabilité aux premières heures de notre rencontre. Raté.  A maintes reprises, je le surpris entrain de  me  dévisager pendant que je dégustais mon plat avec grand appétit. Il scrutait mon visage comme s’il le photographiait pour s’en souvenir à tout jamais. Je déglutinais dès que mon regard s’emprisonnait dans le sien. Jamais on ne m’avait regardé de cette façon.  Je masquai ma gêne en débitant un verbiage inintéressant entrecoupé de gloussement de poule pondeuse rassasiée.

-Tu es jolie quand tu manges, souffla t-il timidement, probablement envoûté par la dextérité de ma mâchoire de ruminant qui se tortillait dans tous les sens. Il n’en fallut pas plus pour que je décroche mon plus large sourire et prenne mon air pincée de fille faussement modeste et détachée.

-tu trouves? Merci.

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Au fil de la soirée chacun se livra sur les grandes lignes de sa vie et là encore il marqua des points. Il n’avait guère la vanité des gens arrogants. Sa simplicité me conquis. De notre conversation, Il en ressortit qu’il était sérieux, aux antipodes de la plupart des jeunes garçons de son âge. Il  travaillait  dans l’entreprise familiale les week-ends, ne sortait pas beaucoup et ne dilapidait pas d’argent dans les soirées oisives. Il faisait de l’enduro, une discipline de moto tout-terrain assez casse-gueule qui tranche radicalement avec l’image lisse qu’il dégage.  Au moment précis où cette information parvint à mes oreilles, je n’entendis plus rien autour de moi. Ma raison avait lâché et s’était nichée dans mon tube digestif. L’écho de sa voix raisonnait en boucle dans ma boite crânienne résolument vide. Je n’avais plus la capacité de réfléchir correctement. Sa présence me donnait des frissons et l’envie irrépressible de me fondre dans son être tout entier. J’étais cuite comme l’animal mariné au saté qui gisait dans mon assiette. Il se passait quelque chose que je n’avais jamais ressenti. Il était parfait.

Nous nous sommes surpris à discuter des heures durant  alors que nous avions fini nos assiettes depuis belle lurette. J’avais le sentiment que nous  étions deux chats de gouttières BFF* dans une autre vie et que nos âmes s’emboitaient comme deux petites cuillères dans un tiroir. C’était assez déroutant.

Nous décidâmes de mettre fin à notre entrevue. Il me déposa devant l’entrée de mon studio d’étudiante. J’enregistrai une dernière fois son doux regard, puis sans laisser paraître la moindre émotion, je l’embrassai sur la joue. Je franchis le seuil de l’entrée sans daigner me retourner. Je refermai la porte de mon petit chez moi qui me parut résolument vide et froid. J’entendis le moteur de sa voiture  vrombir pendant de longues minutes puis soudain tout redevint brutalement silencieux. Il était parti.

Affalée sur mon lit, je me demandai  pourquoi la vie gardait toujours le meilleur pour la fin en nous faisant d’abord passer  par la phase « crapaud affligeant » plus communément appelé « ex ». Je repensai à ce jour où j’ai dit «je t’aime» dans une ruelle exiguë du Marais à celui qui, en réponse à ma déclaration, enfila impassible son casque de moto en me fixant, avant de démarrer en trombe son scooter, sans mot dire. Je l’ai maudit. Je suis restée plantée là, les poings serrés dans mon trench, puis je l’ai regardé disparaître dans la circulation. C’était la dernière fois que je le voyais malgré  ses tentatives incessantes de recoller les morceaux.

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Le film de l’entrée fracassante du prince charmant 2.0 dans ma vie défila ensuite dans mon esprit. C’était chez une tante dont l’appartement  se trouvait au sommet des tours de la Défense à Paris. Je me revoyais assise en tailleur devant l’imposante baie vitrée du salon. Tandis que je me délectais  de la vue panoramique de Paris surplombée par la Tour Eiffel, mon téléphone vibra à deux reprises. C’était lui. Il avait obtenu mes coordonnées par le biais d’un ami et il allait dès cet instant précis chambouler le cours de mon existence. Le Ciel avait entendu mes souhaits et méticuleusement noté  la description détaillée de mon idéal masculin. Il l’a été dessiné, moulé et sculpté avec minutie en une version sacrément plus aboutie puis m’a été livré  à domicile dans des circonstances providentielles.

J’enroulai la couette autour de mon corps recroquevillé en position fœtale. Des scénarios abracadabrantesques sur la suite probable des événements défilaient dans mon esprit et m’empêchaient de fermer l’œil. Mon téléphone vibra à deux reprises. Je le saisi dans un sursaut virevoltant. C’était lui.

– Je suis bien rentré, on se revoit quand ?

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moi

 

 

 

*BFF: « Best Friend For ever » en anglais et « meilleur ami(e)s pour toujours » en français. Ce terme fait référence à une étroite amitié que rien ne peut ébranler

*Crédit photo : Angelique;)

 

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