Dans le hall principal de l’aéroport Félix Houphouët-Boigny, mes parents réglèrent avec moi les derniers détails de l’organisation millimétrée mise au point pour la circonstance. Je devais répéter, au mot près, toutes les instructions que mon père agenouillé en face de moi me donnait en articulant comme jamais il ne l’avait fait auparavant. En bon petit soldat, je fronçai mes sourcils épais en signe de concentration optimale et j’acquiesçai à chacune de ses phrases d’un mouvement ferme de la tête.
Il était 22 h quand l’annonce de l’embarquement de mon vol retentit et perça le brouhaha ambiant des lieux. Mes parents et moi nous rapprochâmes de la zone d’enregistrement des bagages. Les membres d’équipages guindés dans leurs costumes paradaient tout sourire. Mon père m’embrassa à plusieurs reprises sur le front puis passa le relais des câlins à n’en point finir à ma mère l’experte émérite en la matière. Elle me tendit une image derrière laquelle elle avait pris le soin d’inscrire des mots d’une tendresse inégalable. Je me lovai dans sa voluptueuse poitrine et m’enivrai tant que je pouvais encore du doux parfum aux vertus hypnotiques qui s’en dégageait. Je rejoignis d’un pas hésitant mon groupe de petits camarades UM* chapeauté par une gentille hôtesse de l’air dont j’allais être sous la charge tout au long du vol.
Assise sur le siège métallisé du terminal d’embarquement, je repensai à mon grand frère Ekpalè que j’allais bientôt retrouver. Je lui vouais un vrai culte. Je le trouvais beau, fort, courageux et cool. Il avait beaucoup d’amis, faisait du basket-ball et ne mourrait jamais lorsqu’il jouait à Tomb Raider. C’est lui qui m’a confié, le plus sérieusement du monde qu’on pouvait toucher les nuages dans l’avion. Il m’a même suggéré qu’il suffisait de passer la tête à travers les hublots pour prendre un peu d’air. Il m’a soufflé qu’en cas de petite faim, je pouvais ouvrir les hublots, empoigner un bout de nuage et le déguster. Il pouvait tout me faire gober, au grand désespoir de mes parents. Je l’ai cru, même lorsqu’il m’a raconté qu’à l’origine, j’étais une petite souris gisant dans un caniveau. Bref, toutes les absurdités de mon frère atténuèrent un temps soit peu l’état de stress dans lequel je me trouvais.
Munie de mon passeport, une hôtesse de l’air à la démarche chaloupée m’invita à la rejoindre. L’embarquement était immédiat. Nous effectuâmes l’ultime check-point puis, plongés dans un mutisme religieux, nous la suivîmes en file indienne le long de la traversée des passerelles labyrinthiques donnant accès à la carlingue. Lorsque nous pénétrâmes dans l’entre du mastodonte, les fouilles intempestives et les innombrables portiques de sécurités ne furent qu’un lointain souvenir. Un steward me conduisit à mon siège. Je m’y enfonçai et je nouai illico presto ma ceinture.
Une fois que tout le monde fut installé, une hôtesse enjouée mima des consignes de sécurité en se dandinant comme un hippocampe en rut. Je trouvai la démarche totalement inappropriée pour les circonstances dramatiques dont il était question et je ne retins de toute façon aucun pas de la chorégraphie. L’annonce du décollage retentit ensuite.² Le moment semblait solennel tant les instructions pour qu’il se déroule sans encombres étaient légion. On sentit soudainement l’avion prendre de la vitesse crescendo puis quitter le tarmac pour percer les airs. J’avais l’impression de survoler l’immensité du cosmos à bord de la fusée Soyouz. La ville bruyante et fiévreuse que je venais de quitter rapetissa à vue d’œil pour se désagréger en une myriade de minuscules points scintillants et mutiques avant de disparaître sous d’épais nuages noirs. Lorsque l’avion atteignit le couloir aérien et que le mode croisière fut activé, le voyant indiquant de maintenir sa ceinture attaché s’éteignit. Je pus enfin adosser mon siège et souffler un grand coup.
Un steward s’approcha de moi précédé d’un chariot plein de victuailles. Il me présenta un plateau repas rectangulaire et compartimenté qui provoqua en moi le stimulus du chien de Pavlov. En ouvrant la barquette en aluminium du plat de résistance, je découvris avec stupeur un met aux faux airs de Gloubi-Boulga verdâtre comprenant des copeaux secs qu’ils avaient osé appeler « poulet ». Où était l’animal dans tout ça? Cette question me tarauda tout au long de ce dîner qui ne m’emmena guère au septième ciel. Après le gros flop de la session culinaire, les lumières tamisées indiquèrent qu’il était temps de s’octroyer un petit somme bien mérité. Je me recroquevillai dans les bras de Morphée sous un plaid fourni par la compagnie.
« Thé ou café jeune fille ? » C’était la fameuse hôtesse qui nous avait gratifiés de «la danse du crash». Le jour se levait timidement et le ciel avait des allures d’un miel savoureux. Je réclamai un jus d’orange frais qui me fut volontiers servi. A l’issue de 6 longues heures de vol, nous étions enfin sur le point d’atterrir. La stridente symphonie des cliquetis d’enclenchement de ceintures retentit. Les nuages denses dévoilaient petit à petit une cartographie animée et pittoresque du paysage français. De vastes étendus, des champs à perte de vue, un minuscule trafic routier de voitures et des maisons à tuiles rouges miniatures s’offraient à nous. Euphorique, je m’écriai soudainement: « ha, ça c’est peut être la maison de Chirac!»
Nous étions de plus en plus près de la terre ferme. On sentit le train d’atterrissage se déployer, puis les roues de l’avion se poser brutalement sur le tarmac. J’étais subjuguée par la vitesse à laquelle nous dévalions la piste. Ce moment me parut interminable. L’arrêt complet de l’avion se fit dans l’exultation générale. Des applaudissements, des sifflements et des hourras éclatèrent et clôturèrent le vol. Je trouvai ces agissements fort curieux et gênants. D’ailleurs, je me suis dit que, Britney Spears, mon idole de l’époque, ne ce serait jamais comportée ainsi dans l’avion. Le pilote congratulé par des passagers manifestement très heureux d’être encore en vie et entiers annonça que nous étions arrivés à l’aéroport de Paris-Charles-de-Gaulle et que la température ambiante était d’une vingtaine de degrés.
En foulant la passerelle de débarquement, j’inspirai profondément. J’avais accompli ma mission même si ma contribution à l’aboutissement de celle-ci n’était que très minime. Je saisi fermement les bretelles de mon sac à dos, puis je m’engageai dans la nouvelle vie qui m’attendait, sans me douter qu’elle serait jonchée de zones de turbulences bien plus intenses que celles de l’avion…
UM* : service proposé par les compagnies aériennes pour accompagner les enfants voyageant seuls
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Boucles d’oreilles : La Halle. Je dors , je nage , je me douche avec et pourtant elles sont toujours aussi brillantes, nacrées et jolies;)
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A bientôt 🙂