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Retraite de prière: 20 ans après, j’en garde un très mauvais souvenir

Mes parents étaient des membres très actifs d’une communauté catholique fondée sur le couple et la famille. Ils participaient tous les ans  à des retraites de prière qu’ils affectionnaient tout particulièrement. Ils en revenaient apaisés et bienheureux, nimbés par la douce béatitude qui fige le visage des moines dans le sourire. Pendant les vacances scolaires, mes géniteurs me convièrent  à un groupement de prière pour enfants organisé par la congrégation. Ils insistèrent sur le fait que mes compagnons de jeu y seraient. Par contre, ils se gardèrent bien de me donner toutes les informations concernant le déroulement du séjour. C’est bien connu, les parents sont parfois des traîtres.

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Moi, à 6 ans

Le jour du départ, au point de ralliement, les rires gutturaux  des adultes fusaient de toute part tandis que les enfants affichaient une mine patibulaire. Dans le car, je me blotti  contre la poitrine de ma maman pour ne pas entendre les chants de louanges entonnés dans l’enthousiasme collectif. A l’arrivée, le père Francis un homme trapu, replet et très chauve nous expliqua que les enfants allaient être séparés des adultes afin que chaque groupe vive pleinement ce temps de recueillement.  Je tentai de repérer aussitôt mes amis. J’aperçu Georges. Il était toujours dans son monde, parlait souvent seul et croisait rarement le regard des autres. Notre jeu favori  était de compter les lucioles tapis dans l’herbe et de capturer les sauterelles dans la nuit. Je repérai  Marie et son petit frère Pierre, un éminent voleur. Ce prodige de la truanderie a subtilisé avec virtuosité le Walkman dernier cri que mon frère Aicha m’avait ramené de France. En vertu de la loi biblique Luc 6 verset 29, l’affaire fût classée sans suite.

Il eut ensuite des larmes et des étreintes dans chaque famille avec dans la mienne, la promesse de se revoir après seulement six dodos et sept  changements de slips. Les enfants furent ensuite escortés dans un petit village pittoresque tapissé d’une terre ocre et encerclé par une végétation danse au milieu de laquelle se dressaient des bâtisses au style désuet.  En ses lieux, aucune fioritures. Chacune des pièces comprenait le strict minimum vital. Dans ma chambre se trouvaient deux couchettes superposées en métal sur lesquels gisaient des matelas défraîchis. A la vue de l’échelle aux montants usés et branlants, je décidai d’occuper le lit du dessous car je ne suis pas très téméraire en matière d’expérimentations audacieuses qui impliqueraient une potentielle chute.

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La première nuit fut un calvaire. Je n’avais plus aucun repère  et dormait tout juste au dessus de ma tête, une inconnue qui ne m’inspirait guère confiance. Notre nouvel habitat austère était un nid à gros moustiques vindicatifs avides de sang frais. La milice de ces  redoutables insectes sillonna inlassablement chaque infime zone visible de mon corps et finit par s’établir sur mon front, le périmètre le plus étendu du territoire.  Je m’allongeai sur le dos, les yeux rivés et sans ciller sur les lattes bringuebalantes de ma colocataire pour parer à toute éventualité. Je fini par m’endormir, exténuée par mon extrême vigilance et par les crises de grattage frénétique.

Au réveil, mon buste était trempé. Mon pyjama était imprégné d’un liquide jaunâtre et nauséeux. Ma couverture n’avait pas été épargnée non plus.  Ma colocataire m’avait gratifiée pendant la nuit d’un abondant pipi chaud.  J’imaginai que j’en avais dans la bouche, les narines et les oreilles. J’étais mortifiée. Je levai les bras comme un épouvantail, écartai exagérément les pieds, je courbai le dos, puis je me dirigeai d’un pas saccadé dans la chambre de la bonne sœur la plus proche.  Elle constatât impassible les faits puis minimisa la dimension dramatique de l’affaire. Le long de mes joues, dévalèrent lentement des torrents de larmes. Je me douchai dans le désarroi.

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Nos journées étaient rythmées par des prières incessantes, des activités ludiques, des messes interminables et des pleurs éruptifs de marmots.  Le pic de mon calvaire se situait au moment du repas. Le  poisson Chincha régnait en maître dans nos assiettes. Cet animal est le chat de gouttière de la mer. Il est tout petit et racorni.  Le  manger est un véritable parcours du combattant qui demande beaucoup de self-control pour venir à bout de ses innombrables arrêtes. Je perdis l’appétit au fil des jours  et consacrai mon temps de repas à observer amorphe, mes petits camarades sucer bruyamment la tête du fretin pour ne pas perdre une miette de sa chair peu abondante.sad comfort eating GIF

En guise de goûter, nous avions une baguette garnie de pâté de foie. Une bouée de sauvetage dans l’immensité de l’océan à laquelle je m’arrimai avec ferveur. Mon Cérélac* au blé me manquait, mon Alloco* 100 francs-deux Œufs aussi, mes parents davantage. Je me questionnai sur la raison de mon calvaire et conclu que c’était Dieu qui me punissait pour avoir essayé le soutien-gorge et les talons de maman en catimini et quémandé le goûter de mes camarades de classe à la récréation après avoir englouti le mien.

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Quelques jours après mon arrivée à la retraite de prière, j’écrivis ce mot à mes parents. Il leur fit transmis le jour même.

 

Le jour du retour à Abidjan, je ne pus contenir mon émotion. Je trépignai d’impatience à l’idée de retrouver enfin mon cocon familiale et quitter ce sanctuaire qui me rapprocha bien plus des moustiques que du christ.  Je fis hâtivement ma valise et j’oubliai la moitié de mes effets. Un car nous conduisit dans le village où se trouvaient les parents.  En descendant du véhicule, les animatrices occultèrent notre vue avec la paume de leur main. J’avançai à tâtons sans trop comprendre ce qu’elles nous réservaient. Dès l’instant où l’une d’entre elles retira lentement ses doigts de mon visage, je retins mon souffle. Tous les parents étaient alignés à quelques mètres de nous. Leur félicité irradiait dans l’atmosphère velouteuse et rosée du soleil couchant. Leurs éclats de rire raisonnèrent à travers tout le village. Je n’eu aucune difficulté à distinguer le visage radieux et aimant de mes parents. Adieu pipi chaud, adieu poisson chincha, adieu moustiques! J’entrepris aussitôt  la course de haies la plus haletante de ma vie. Je serrai les poings de toutes mes forces pour optimiser l’aérodynamisme de ma lancée poussive, esquivant les camarades qui s’étaient trompés de parents. Je bondi tellement haut dans l’air chaud que cet euphorie se solda par un roulé-boulé  vertigineux. A cet âge déjà il m’en fallait bien plus pour en démordre. Je me relevai à bout de souffle, j’allongeai exagérément ma foulée  puis  j’amorti mon sprint effréné dans les bras de mes parents. Je me lovai au sein de leur enveloppe protectrice de tout mon être et voulu que cet instant dure à tout jamais.

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A notre retour à la maison, je fis preuve d’un calme olympien. Ce soir là, on ne m’entendit pas.  J’affichai moi aussi un air apaisé et bienheureux, nimbée par la douce béatitude qui fige le visage des moines dans le sourire. J’étais enfin chez moi surtout.  À l’issue de cette retraite de prière, mon amour pour mes parents s’est cristallisé. Il est inébranlable et fleurit à l’infini. Aimer et être aimer en retour, c’est peut-être cela, le véritable paradis.

 

A Ano et Dorothée

 

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*Tous les prénoms ont été modifiés pour des raisons que vous connaissez!

*Céréales  pour petits et grands enfants

*Frites de banane plantain qui sont à la fois un plat de résistance et un goûter. Elles sont servies avec des œufs durs, du poisson, des fruits de mer, de la viande rouge ou blanche.

 

Pull et pantalon: Mango

Sautoir: Camaïeu

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A bientôt 🙂

 

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