Il fut une période assez courte de ma vie où je songeai à devenir bonne sœur. «Sœur Sharmela», je trouvais que cela sonnait bien. «Sœur Sharmela apporte des vivres aux enfants de la rue ». Je trouvais que cela sonnait encore mieux. J’imaginais souvent que je faisais la une des gros titres, le visage serti d’un voile satiné ondulant sur mes épaules, auréolée de la sainte béatitude et entourée d’une foule de fidèles transportés par ma dévotieuse piété.
Dans la villa paisible, chaleureuse et sans fioritures des Fabriciennes*, une congrégation de religieuses d’Abidjan, j’étais comme chez moi. Elles m’invitaient à déjeuner ou prier avec elles. J’abandonnais volontiers ma meilleure amie Barbie l’Inanimée pour psalmodier des cantiques des heures durant avec elles car je me sentais privilégiée de côtoyer les pom-pom girls du Christ. C’est ainsi que je me suis liée d’amitié avec Colette, la plus atypique d’entre elles. Elle était dans sa période de noviciat, la deuxième étape de formation de sœurs qui dure deux ans et demi et qui se clôture par un engagement perpétuelle à Dieu. Son âme d’enfant transcendait tout son être de sorte que j’avais réussi à la sonder dès notre première rencontre. Alors que le paraître et la coquetterie sont formellement proscrits dans les ordres religieux, Colette se chaussait de nu-pieds colorées au lieu des sandales à lanières en cuir, pièces phares du corps ecclésiastique. Elle ne portait que très rarement son voile, dégageait son décolleté et affichait ses cheveux défrisés très courts qui formaient de petites piques raides, luisantes et clairsemées sur le haut de son crâne.
L’après-midi, à l’heure où ses consœurs s’affairaient à l’église, elle avait pour habitude de rendre visite aux employés de maison de notre rue. Elle venait me chercher chez moi, puis, nous commencions le parcours du con cancan sous le soleil brûlant du quartier. Tous les jours, le rituel était le même. Colette s’installait à même les marches du perron des maisons, à côté de la baby-sitter tandis que je m’accroupissais gaillardement en face d’elles sur le trottoir. Parfois le petit dernier, enveloppé du halo de l’innocence, dormait à poings fermés dans les bras de la domestique pendant que celle-ci déblatérait les pires infamies sur lui ou sa famille à quelques centimètres seulement des ses oreilles molles miniatures. Chez les Kouadio, la nounou avait encore décelé des signes évidents de sorcellerie chez la cadette de la famille âgée de 6 ans à qui il manquait les deux incisives du haut. Elle avait un sens trop aigu de la répartie pour que cela ne soit pas mystique. Chez les Mangui, la cuisinière avait la preuve irréfutable que la maîtresse de maison était une sorcière en chef haut- gradée. Elle avait découvert en songe qu’elle était la cible principale de sa patronne et avait même senti son cou se briser net comme celui d’un poulet de banquet dans son sommeil; pourtant elle parlait encore… Du côté de la nourrice chétive des Bertoux, contrainte de s’affubler d’une blouse informe taille double XL aux motifs vichy roses identiques à l’uniforme des bambins de la maternelle, il n’y avait selon elle aucun cas de diablerie à signaler. Celui-ci était, à mes yeux, le plus flagrant.
Colette exultait à chaque fois qu’elle était mise dans la confidence et des interjections appuyées et aiguës s’échappaient de son gosier sans qu’elle ne puisse les contrôler. Avant de conclure les cessions de bavardages, elle épluchait dans une intonation morne les tissages* ou les ensembles trois pagnes des passantes tirées à quatre épingles.
Ma vision de la vie de religieuse était à l’image de celle de Colette, totalement anarchiste. Pour moi être none signifiait croire en Dieu, vivre dans une communauté et faire comme bon nous semble à condition d’aimer les autres qu’importe leur milieu social, leur âge ou leur spécificité. C’est alors qu’un jour, après avoir passé au couvent une matinée soporifique consacrée à la prière devant l’oratoire, j’en conclus que Jesus, le maître du sensationnel, l’instigateur des réjouissances très arrosées de Cana et de la légendaire activité de marche sur mer par vent contraire, méritait un traitement avant-gardiste de sa fulgurante légende. Je décidai de confier à Colette mon désir ardent de devenir nonne à la seule condition de pouvoir mettre du rouge à lèvres, porter des talons comme Monique Séka* et surtout ludifier la compagnie en remplaçant la majeure partie du temps de recueillement par des ateliers de danse, de défilés de mode , de karaokés et de dégustation de Cerelac gastronomique à volonté. Au vue de ses remarques dissuasives et de la mine maussade qu’elle afficha, j’en conclus que je devais plutôt concentrer toute mon énergie sur le moyen d’éviter la chicotte de maîtresse Moreau en classe au lieu de tergiverser sur mon très incertain avenir spirituel.
Collette finit par quitter la congrégation pour le Portugal. Elle ne s’épanouissait pas dans la vie de conversion et ne s’en cachait plus. Cela lui valut de ne pas être en odeur de sainteté dans sa communauté. A mon grand regret, je ne l’ai plus jamais revue et mes cessions de prière au couvent ont fini par drastiquement s’espacer. Morale de l’histoire, en matière d’engagement officiel avec une divinité aussi, pour vivre heureux, il faut vivre caché si l’on veut échapper aux exigences de la garde rapprochée.
Alors, pensez-vous que Colette et moi avions notre place au couvent?
∴ Tous les noms ont été modifiés pour les raisons que vous connaissez.
∴ Photos prises en Côte d’ivoire à Assinie , une station balnéaire ivoirienne où l’on a un pied dans l’eau et l’autre au Paradis.
Tissage: méthodes d’extensions de cheveux
Monique Séka: Fashionista et chanteuse ivoirienne à succès des années 90
Cerelac: céréales en poudre pour petits (et grands enfants)
Ensembles trois pagnes: tenue vestimentaire ivoirienne traditionnelle et élégante
Robe: Stradivarius
Sac: chiné dans une braderie à Bruxelles
Sandales compensées: Urban outfitters
Boucle d’oreilles: Balaboosté
Sautoir demi-lune: ici aussi
A bientôt♥